Le choix des internes et des résidents en médecine de faire grève les 5, 6 et 7 juin 2012 est lunique alternative possible face au laxisme caractérisé du ministère de la santé publique dans sa gestion du dossier de la violence et de linsécurité au sein des hôpitaux publics. Notre ministère de tutelle, qui na pas encore saisi la pleine ampleur des modifications requises par la révolution du 14 janvier 2011, continue de fonctionner comme sous lancien régime de Ben Ali : il répond aux agressions des personnels soignants (médecins, infirmiers, techniciens, etc.) par une indifférence magistrale et laisse sombrer un secteur aussi vital que celui de la santé publique dans le chaos et le désordre.
La santé publique nest plus aussi « publique» que cela à cause du manque flagrant de moyens, de médicaments et déquipements qui précarise ce secteur, lequel finira hélas par devenir « une médecine pauvre pour des patients pauvres » si rien nest fait dans les prochaines années. Les premiers à subir ce laisser-aller dans les hôpitaux sont à la fois le simple citoyen (en particulier celui des classes moyennes et populaires) et le médecin qui doit travailler dans des onditions impropres au bon exercice de son art.
Le manque criant de moyens et déquipements est une des principales causes de la dévalorisation des soins offerts par lhôpital public tunisien. Dans son « enthousiasme postrévolutionnaire », le citoyen lambda sattend à ce que les changements prennent effet immédiatement dans tous les secteurs. Placé devant la triste réalité des services hospitaliers, ce même citoyen a parfois tendance à tenir les médecins pour responsables de létat de fait constaté. Devant la souffrance dun être cher, mais surtout du fait dun dangereux sentiment dimpunité, certains iront même jusquà décharger leurs frustrations et leur agressivité sur des personnes pourtant sensées soigner leurs parents.
Nous rappelons que les délais dattente dans les salles durgence tunisiennes sont estimés en moyenne à une heure : temps écoulé entre larrivée du patient et son premier examen par un médecin. Ce délai est plus court que dans dautres pays. [A titre dexemple, ce délai est de deux heures à lhôpital Charles Nicolle, alors quil peut atteindre six heures dans certains hôpitaux parisiens]. Cependant, il est aussi important de considérer un autre facteur dans le délai de prise en charge totale et efficace. En effet, du fait dun manque de personnel et de moyens, le malade doit souvent attendre plusieurs heures (parfois plus de douze heures) avant de recevoir le résultat de ses analyses ou bien dobtenir un lit dhospitalisation. Ajoutons à cela lindisponibilité chronique de médicaments aussi indispensables que les antalgiques injectables et la surcharge des services durgences par des pathologies courantes qui auraient dû être prises en charge dans des structures de santé de base. Du fait de labsence de dispositif de tri réellement efficace, les médecins voient se côtoyer pêle-mêle aux urgences : grippe, angines, coliques néphrétiques, accidents vasculaires cérébraux et infarctus du myocarde.
Les moyens mis en uvre sont généralement inadéquats et bien loin de répondre aux besoins de santé réels. Dans lhôpital Charles Nicolle, considéré comme lun des meilleurs de la capitale, le service des urgences voit passer quotidiennement plus de 500 consultants. Pourtant, ce service est bien loin de répondre aux normes modernes dun service durgence. Sa superficie est de 200 m² (pour un hôpital dont la superficie totale est de 10 hectares). Les gardes portes sont assurées par des internes et des résidents en médecine, tandis que le médecin de santé assure à lui seul les hospitalisations et la réanimation en salle de déchoquage.
Depuis la révolution, les médecins et les paramédicaux ont eu à subir des agressions dont le nombre et la gravité nont fait quaugmenter, allant de la simple agression verbale à lagression en groupe ou bien avec arme blanche. En moins dune année, le syndicat des internes et des résidents en médecine de Tunis a enregistré 272 cas de violence physique à lencontre de médecins, et ne compte plus les agressions verbales et les incivilités devenues quasi quotidiennes.
A titre dexemple, le mois de mai 2012 a vu lagression dun médecin interne aux urgences de la Rabta ayant causé un traumatisme crânien sévère, d’où une hospitalisation en service de réanimation à côté d’un patient qu’il venait d’opérer. Un résident dorthopédie a lui été agressé à lhôpital régional de Bizerte et a dû être admis à son tour en réanimation ; il présentait des hématomes cérébraux et une luxation des vertèbres cervicales qui aurait pu causer une tétraplégie.
Dans les services des urgences de lhôpital Habib Bourguiba et de lhôpital Mongi Slim, cest respectivement un résident et un médecin qui ont été victime de malfrats. Au centre de maternité Wassila Bourguiba, ce sont deux femmes médecins qui ont été menacées par arme blanche en Janvier 2012 ; leur véhicule pourtant garé dans l’enceinte de l’hôpital a été volé.
La grève à laquelle appellent les syndicats dinternes et de résidents en médecine de Monastir, Sfax et Tunis fait suite à quatre entrevues avec des responsables du ministère de la santé publique. Les revendications des internes et des résidents en médecine sont :
1. La concrétisation des accords signés avec le ministère de la santé publique et lengageant à recruter et organiser du personnel qualifié en vue dassurer le bon déroulement de lexercice de la médecine.
2. La désignation dun responsable de la sécurité au sein de chaque structure hospitalière, lequel sera tenu pour responsable de tout incident touchant à la sécurité du personnel.
3. La publication dune liste exhaustive des responsables juridiques des hôpitaux chargés de la poursuite en justice de toute agression, verbale ou physique.
4. La publication de comptes-rendus détaillés de lavancement des poursuites juridiques concernant les plaintes déjà déposées.
La grève nationale des internes et des résidents en médecine aura lieu les 5, 6 et 7 juin 2012 pour dénoncer linsécurité croissante dans les hôpitaux, les dispensaires et surtout les services durgence. Des mesures concrètes et réalisables ont été demandées et doivent êtres appliquées, il est question de décider si l’ont veut une médecine de qualité ou une médecine de guerre.
A Tunis, le 5 juin, les internes et les résidents en médecine feront grève dans leurs services respectifs.
Le 6 juin 2012 à 10 heures, une conférence de presse sera organisée au sein de la faculté de médecine de Tunis. Enfin, le 7 juin à 11 heures, une assemblée générale du syndicat des internes et des résidents en médecine de Tunis se tiendra au même lieu et les médecins hospitalo-universitaires seront conviés à y participer.